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Gérard

Les jours heureux

La Macaronnade à Sidi Djemil

(Gérard Rodriguez)

Année 1956, j'ai 7 ans.
- Louise dimanche on va faire la macaronnade!
- Où?
- Eh! À sidi djemil!
- Avec les chasseurs?
- Et Marcellin avec Odette y viennent?
- Et alors
- Comme l'autre fois, on sera au moins 40 avec Marmoud et sa famille. Plus les traqueurs.
- Ah ba ba. Les pâtes faut que j'en amène. La madone!!

Voilà que samedi ma mère elle me dit:
Gégé va chercher les 10 kg de boeuf pour la daube que je l'ai commandé en bas à la boucherie et toi Jeannot aregarde que tu me les pèses quand y les porte le p'tit, que l'autre fois y manquait au moins 400 grs. souilla!! Le boucher y croit que je connais pas le poids moi!! et zeck!!!
- 10 kg tu crois que y a assez?
- Oui oui, moi après je les recoupe en deux!! Les morceaux.

Ah ça yé, tié revenu mon fils?
Et voilà que dans toute la maison se met à sentir une odeur de sauce tomate, d'oignons et d'ail. Les crépitements de la viande dans l'huile. Ah!!Elle était heureuse la Marie-Louise. Avec sa grosse cuillère en fer qui raclait le fond de la marmite toute cabossée elle chantait:
- Je t'ai donné mon coeur la la la (et oui c'était sa chanson).
Et moi je regardais. J'étais rempli de bonheur. Mais à cette époque gougoutse!! Je le savais pas.
Ah!!! Si on savait la suite de notre vie!

Et voilà le Dimanche matin qui arrive!
Ah la la qui c'est qui dort de la nuit. Pas moi en tout cas.
A 4 heures du matin tout le monde debout, ça sentait encore la sauce tomate bien grasse de la veille.
En ce temps là nous habitions ce que nous appelions, la vielle maison. Rue du docteur Mestre. Et malgré que nous essayons de ne pas faire de bruit, on entendait des bings et des bangs, car fallait rien oublier. Les assiettes, les verres, etc, etc, les casseroles et surtout cette grosse lessiveuse qui allait se transformer en marmite pour cuire les pâtes.

Rue du docteur Mestre.

Ah oui fallait rien oublier!
- Es tu sûr que Odette elle apporte le pain?
- Et les gâteaux qui c'est qui les porte?
- C'est vrai que Marmoud, ils amènent toujours les makrouts et à la grâce de dieu!

Et voilà que nous embarquons dans la moto avec le side-car demandez moi pas comment mais tout y entrait dans le side-car. Oui ça y entrait. La vaisselle, les marmites, la daube, les pâtes, les cuillères et tout et tout. Chargé comme des bourricots, nous remontions la colonne. Ah qu'il faisait beau. C'était encore la nuit. Ah que nous étions heureux. Les enfants se cramponnaient au guidon du side-car, un vent presque frais nous balayait le visage, nous remontions derrière le port et la gare. Je regardais le ciel où de minuscules étoiles qui avaient l'air de se battre avec le lever du jour brillaient encore comme des diamants. Ah non il n'y avait pas de pollution. mé ké!! La pollution en ce temps là on parlait pas de ça!

Tous les chasseurs, tous ceux qui, femmes et enfants venaient, on se retrouvait à Mondovi, devant le bar des chasseurs. Il était autour de 6 heures du matin.
Arrivé a Mondovi. Tous étaient là, on aurait cru une vraie choumarelle. Les femmes, les enfants, les chasseurs bardés de leur cartouchière, comme si ils allaient à la guerre, je crois bien que nous devions réveiller tout Mondovi avec notre tchatch. Tout le monde se comptait.

- Aller! aller! Les enfants, montez et commencez pas à me faire jbattre! hein!
Dire que nous étions excité n'est pas le mot. Non! non! Nous étions simplement heureux. Et il m'est facile de traduire 50 ans plus tard une époque qui a disparue. Nous prenions la route qui serpentait depuis Mondovi pour arriver à Sidi Djemil et là je ne sais pas par où nous passions, mais on quittait Sidi Djemil pour s'enfoncer par une route de terre, dans une sorte de colline à travers les oliviers d'où s'envolaient des centaines d'étourneaux. Attention!!!! que celui qui tirait sur les étourneaux y se faisait engueuler, car on était là pour les sangliers!

Et puis soudain nous débouchions sur une clairière parsemée d'où trônait de très gros oliviers, et où coulait un magnifique ruisseau d'une eau pure et claire comme je n'en ai plus revu. Dans ma mémoire resté intacte le décor sauvage, le blé coupé et brûlé par le soleil, les oliviers, et cet air, cette senteur inimitable de mon beau pays l'Algérie.

Gégé à Sidi Djemil.

Voilà que nous arrivions à cet endroit qui devait nous servir de campement et comme par magie, sorti tout droit d'un décor des milles et une nuit, devant nous se trouvait tous les amis algériens des chasseurs. On se serait cru à une autre époque, des femmes aux robes d'un bleu flamboyant, surchargé de lourds colliers de cuivre, l'ensemble était magnifique. Je me rappelle très bien que j'ouvrais les yeux gros comme des billes agate et je regardais ces femmes et ces hommes habillés de leur djellaba, gandoura, ça faisait un ensemble digne de Laurence d'Arabie où la liberté des grands espaces avait toute sa vérité. Dans un charabia, qui pour moi était incompréhensible tout ce beau monde se comprenait. Tout ce monde là, se serrait la main, s'embrassait comme si, oui comme si cela se faisait depuis des siècles. Tout ce beau monde me donnait l'impression de répéter des gestes millénaires. Je ne voyais que des gens heureux.

Et voilà que les hommes venaient de s'évanouir dans les montagnes, bardés de leurs cartouchières. Plus de Jeannot, plus de Marmoud, ou Mohamed, plus de tonton Marcellin. Je les regardais s'éloigner vers les petites montagnes. La chasse aux sangliers commençait. Je restais donc avec les femmes. Ah oui!! Je revois encore cette image.

Toutes ces femmes, colorées allaient et venaient. Je les regardais. C'était féerique. Elles ramassaient de grosses pierres pour faire deux fourneaux. Un pour cuire les pâtes. L'autre pour chauffer la sauce. Les femmes algériennes avaient commencé à bâtir des ronds de pierre. Elles y entassaient des morceaux de bois. Et sur une vielle tôle qu'elles posaient dessus, elles cuisaient des galettes de semoule, dont nous allions nous régaler. Et je me rappelle que dès que j'approchais pour regarder, elles me lançaient de grands sourires, le visage bardé de henné et de traits noirs. Certaines le visage buriné et brûlé par le soleil, ridé et marqué sûrement par la misère. Mais vraies et solides, d'ou émanait seulement le mot amour. Elles me tendaient des bouts de galette et pour une fois ma mère ne me disait pas:
- Aller aller après tu mangeras pas hein!
- D'autres femmes allaient au ruisseau remplir la lessiveuse et la posaient sur le fourneau de fortune qu'il fallait encore caller avec des pierres, car la lessiveuse avait l'air de vouloir s'échouer sur l'herbe, et les femmes en riant comme des folles criaient:
- Enttentionne!! enttentionne!! que si elle tombe faut aller en chercher encore... et ça riait de plus belle. Au loin nous entendions les coups de fusil et avec la distance ça faisait des boums lourds et épais. Je regardais autour de moi le ruisseau, les oliviers, ça sentait le feu de bois, les galettes qui cuisaient. Les femmes avaient mis les bouteilles de vin à rafraîchir dans le ruisseau. Tout ce monde là était heureux.

Et puis le temps avait passé et les chasseurs revenaient. En avant il y avait des mulets. Mon père à l'usine à gaz, avait fait des espèces de gros supports en métal qui étaient passé sur leur dos et sur lesquels, étaient pèle mêle, les sangliers. Toutes les femmes se levaient et allaient voir ce que nous appelions
- la chasse, et des sangliers y en avaient. Mais y en avaient.

La chasse à sididjemil.
La chasse à sididjemil.

Cliquez pour agrandir

- ah ba ba!!! tia vu souilla comme il est gros!
Les chasseurs rangeaient les fusils contre les voitures.
- Attends, attends va, je mets une cartouche de 9 si des fois les étourneaux y reviennent je leur donne bien bien!

Les femmes plongeaient les pâtes dans la lessiveuse, et moins de 20 minutes plus tard tout ce beau monde était en train de manger. Les bouteilles de Sidi-Brahim circulaient. Le pain se cassait à la main, les olives et le saucisson se lançaient.
- Oh!!! Marcellin envoie le saucisson. La madone.

Moi je tenais pas en place, avec mon assiette et attention pas des assiettes en carton comme maintenant. Des vraies assiettes que les femmes lavaient ensuite dans le ruisseau, je courais à travers tous ce beau monde mais je sais que je me plaisais à être au milieu des femmes algériennes qui je le comprends maintenant avaient leur propre nourriture, mais à cette époque trop petit je me demandais pourquoi elles amenaient leur nourriture. Je crois que ce qui m'attirait vers elles, c'était qu'elles me donnaient le sentiment d'être toutes des nounous et je me sentais en sécurité. Et cette galette arabe aie aie aie!! Qu'est ce que j'ai pu en manger. Aujourd'hui elle se fait rare et de le dire ici je la trouve encore meilleure. Et puis les hommes, un peu la macaronnade, beaucoup le vin, se couchaient dans l'herbe et se tapaient la sieste. Les Algériens par contre se mettaient à chanter des chansons dont je ne comprenais pas les paroles. Moi, je me plantais face à eux et j'écoutais. Les femmes se levaient et se mettaient à danser. Et voilà encore ces belles robes bleues, rouges, jaunes, remplies de brillants qui virevoltaient. Du ruisseau parvenait le bruit étouffé de la vaisselle que les femmes lavaient au milieu de rires qui résonnent encore dans ma tête. Et des fois ça disait:
- Chut que les hommes y dorment. Eh!! vafangoule que y dorment!
Et ça riait de plus belle. Elles se jetaient de l'eau à la figure.
- Ah non!! Pas les cheveux! Pas les cheveux la madone!!
Et ça riait et ça riait.

Et puis le temps avait passé, il fallait rentrer, alors on rangeait toute la vaisselle dans les voitures, avec un bruit mais alors un bruit. Tout ce monde qui se serrait la main, qui se prenait dans les bras. On s'embrassait en riant. Nous repartions avec des bouts de galettes, des makrouts, des cornes de gazelles. Aie!! D'où ça sortait tout ça? Je sais pas, mais il y en avait des paniers pleins, je ne sais pas comment nos amis algériens étaient arrivés le matin, mais ce qui est sûr, au retour tous le monde embarquait dans les voitures. Aie aie!! Serré comme des sardines nous arrivions à Mondovi où nous déposions tous nos amis. Il me revient de ces retours de macaronnade, des senteurs qui me restent de hénné et de miel, de parfum gras qui aujourd'hui me manquent terriblement. Les oliviers de mon enfance, les senteurs de la daube dans les montagnes, les coup de fusils, les rires que j'entendrai toujours, ce langage arabo-français. Le ciel de mon pays, tout est imprégné en moi, oui! oui! Je garde encore en moi ces odeurs et parfums qui ne m'ont jamais quitté. Car de mon pays l'Algérie il ne me reste que cela, et merci à ma mémoire de me les avoir conservé. Ils sont un bien précieux.

Je perdrais ma plus grande fortune si un jour ma mémoire me faisait défaut et que j'oublie la macaronnade de Sidi Djemil. Aujourd'hui quand la vie que je mène ne me comble plus, quand les gens que je côtoie me deviennent superficiels, alors je replonge en 1956. Je respire un grand coup pour retrouver l'odeur de la macaronnade. Je ferme les yeux pour voir les robes bleus et les bijoux de cuivre. Je retourne à Sidi Djemil. Je revois la lessiveuse, j'entends parler arabe, j'entends à nouveaux les rires de tous ces gens de ma famille aujourd'hui disparus.

Disparus? Je ne crois pas. Car ils sont là, à mes côtés. Refaisant la macaronnade. Se lançant le saucisson au milieu des you you qui me donnaient de la galette toute chaude. Je revois les djellabas et les burnouss. Ah oui !!Mes jours heureux!! Comme je vous aime!...

Pour toi mon papa qui fut le roi de Sidi Djemil
Gégé

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