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L'espace des villes

Bône - Annaba

Gérard

Les jours heureux

Quand j'allais au docteur à la villa médicale des agents de l'EGA

(Gérard Rodriguez)

Je me rappelle bien de cette villa située face au stade et qui était l'endroit où les familles des agents de l'EGA allaient se faire soigner et comme mon papa était un agent EGA alors c'est là que nous allions au docteur et cette après midi là...

Villa médicale des agents EGA.

"Gérard dépêches que la calèche elle est là!"

"Oui maman j'arrive!!".

Je dévale les escaliers de notre belle villa des trois mousquetaires sous un soleil non pas de plomb, moi je dis magnifique, ma mère avait mit son grand chapeau je crois de paille et une robe d'été à fleurs c'était la mode, elle s'était aussi poudré le visage avec une poudre rose je me rappelle qui sentait si bon cette poudre rose était dans une boite noire en plastique, et souvent quand elle sortait elle prenait le tampon et se tamponnait le visage. Pauvre maman tu avais pas beaucoup de moyen alors tu faisais avec ce que tu avais. Ca lui donnait un joli teint rose. Moi j'attendais en bas des marches car même si d'aller au docteur ne m'enchantait pas trop, ce qui comptait le plus c'était le tour de calèche. Et je regardais ma maman descendre l'escalier avec sa robe à fleurs, ses souliers en plastique vernis noir et son sac à main lui aussi en plastic noir. Avec le petit vent chaud, nous étions beaux, oui beaux. Ah pas beaux comme certains peuvent le comprendre, mais beaux d'être là par cette belle journée d'été sous le soleil de notre beau pays l'Algérie. Le ciel était si beau, si bleu, que seul la mer de St Cloud pouvait lui faire concurrence. Par la suite après 62 quand on m'a arraché le coeur je n'ai plus revu un ciel si pur si clair si beau.

Nous montions dans la calèche et ma mère se plaçait au centre du siège, elle disait que comme cela ça secouait moins. Elle disait que ainsi ça allait moins d'un côté et de l'autre et ça lui tournait pas l'estomac! Elle tenait son sac à main bien à plat sur ses jambes comme si un trésor se trouvait à l'intérieur. Moi je m'asseyais à côté d'elle et la calèche partait. Comme tout cela était féerique. Le cloc cloc cloc du cheval qui trottinait, la chaleur, le soleil, le petit vent. Que tu es beau mon pays. En tournant à droite à la Ménadia, le vent prenait des senteurs marine, venant de la plage de Saint-Cloud. Il est des bonheurs difficiles à raconter que seuls ceux qui les ont vécus peuvent en témoigner. Nous remontions la Ménadia jusqu'à l'école de Beauséjour où la calèche tournait à gauche et de suite à droite pour descendre une petite rue bordée de jolies petites villas pleines de fleurs. Vu que ça descendait le cheval ne peinait pas et filait son petit trot.

Quel dommage ce trajet était court, mais ça ne fait rien, que du bonheur. Nous voilà arrivé à la villa. Je me rappelle que face à la villa il y avait de l'autre côté de la rue des arbres avec de gros glands plein de piquants, je pense que ce devait être des platanes dont l'écorce blanchâtre zébrée de brun brillait au soleil. Nous descendions de la calèche et l'on poussait une petite porte de métal avec droit devant nous une petite allée dont le centre était planté d'un arbre que nous devions contourner.

Villa médicale des agents EGA.

Le soleil tapait dur et ma mère se dépêchait d'avancer pour entrer dans la salle d'attente où c'est vrai il faisait bien frais à l'intérieur, sûrement dû au carrelage et aux petites fenêtres qui ne laissaient entrer que peu de lumière dans cette salle rectangulaire.

Salle d'attente de la villa médicale.

Il y avait des chaises en métal noir et voilà que ma maman s'installe, elle s'assoie et de suite la voilà à partir à parler avec le monde. Ca parlait à voix basse, mais des fois de grands rires fusaient, je me rappelle que comme je jouais dehors, la curiosité me poussait à rentrer et je lui demandais pourquoi elle riait et je me faisais répondre un beau "va jouer dehors" çà te regarde pas et éloigne toi pas que le docteur y peut nous appeler d'un moment à l'autre heinnnn! Quand je te pousse un cri ti arrive heinnn! Moi j'étais toujours intimidé par toutes ces femmes qui attendaient et que je ne connaissais pas. Alors je me retrouvais, dehors autour de cet arbre.

Le jardin de la villa médicale.

Combien de fois je me suis amusé à tourner autour en marchant sur les pierres qui l'encerclaient. Le soleil ne nous faisait pas trop souffrir car il y avait assez d'arbres pour nous abriter.

Et puis notre tour venait. Ma mère poussait un cri comme elle disait et j'accourais, nous passions une porte qui donnait dans une autre salle rectangulaire dont les murs étaient peints en blanc, il y avait rien dans cette salle sauf une balance et sur le côté droit de cette pièce, il y avait une porte qui donnait dans une petite pièce où sur la gauche le docteur avait son petit bureau. Il devait bien connaître ma mère puisque il la tutoyait et l'appelait par son prénom. Au centre il y avait un appareil pour prendre les radios. Aie aie un engin préhistorique mais pour l'époque moderne. Va savoir si ça nous irradiait pas un peu et même beaucoup. Enfin! Cet appareil était fait d'une grande vitre carrée qui montait et descendait et le docteur me faisait mettre torse nu derrière collé contre la vitre qui était très froide et je me rappelle qu'une lumière verte illuminait la vitre... Il faisait froid contre cette vitre. Voilà le docteur disait tout va bien ma fille il est en bonne santé et nous repartions. Je ne sais pas comment la calèche était là devant à nous attendre, mais pour moi c'était une belle journée. Je m'étais promené en calèche. C'était le luxe.

Je suis retourné en 2010 à la villa des agents EGA. J'étais un peu craintif de pousser la porte, mais je fus accueillis avec gentillesse par un Monsieur qui me refit visiter. Les lieux ont un peu changés, la porte d'entrée en métal est là mais mon arbre où je jouais avait rendu l'âme et a cédé la place à un autre arbre et ce fut avec émotion que je le touchais et le caressais car après tout c'est bien là que je tournais en rond. Mes 9 ans ont défilé devant moi, quel bonheur. On se sent ivre, on se sent riche, oui on n'oublie rien. La mémoire!!! Ah la mémoire quelle puissance de souvenir.

Je suis entré à nouveau dans la salle d'attente, rien a changé. Alors je me suis assis sur une des chaises, je voulais retrouver la position de ma maman qui attendait bien sûr.

En 2010 à la villa médicale.

Ca a amusé les personnes qui étaient là, elles riaient de me voir faire mais je savais que c'était de l'amour. Je suis sûr qu'ils comprenaient et c'était leur façon de me le montrer. Et je disais "voyez ma maman elle se mettait ainsi avec son sac à main sur les genoux". Des fois elle le posait par terre à côté d'elle, mais toutes les deux minutes elle le touchait pour être sur qu'il était toujours là, pourtant pauvres comme nous étions il devait pas y avoir grand-chose dedans mais sans doute pour les pauvres ce qui est peu est beaucoup. Oui ce doit être cela.

J'ai pu revisiter tout l'intérieur, j'ai été accueillis par un Monsieur généreux de son temps de son intelligence et de son savoir. On accède maintenant directement à la salle du docteur par une porte directe. L'autre a été colmaté et dans la salle du docteur on voit bien la trace de l'ancienne porte. Ce monsieur qui m'a fait visiter semblait heureux de voir que je me rappelais de ces détails. Puis nous avons prit l'escalier extérieur qui mène au deuxième étage où se trouve les bureaux et où travaillent des gens.

L'escalier extérieur de la villa médicale.

Je fus reçu avec joie et des sourires de gentillesse qui me firent venir les larmes aux yeux. Dans ma tête tournait tant de choses. Il aurait fallut si peu pour que rien ne s'arrête car je suis sûr, je le sais, je le sens, je suis un enfant d'Algérie. Je fais partie de cette terre.

En redescendant l'escalier, j'avais à nouveau 10 ans. J'étais le petit garçon avec sa maman qui venait voir le docteur. Cette sensation je ne sais comment la décrire. Je pourrais dire que ça vaut des millions mais l'argent n'achète pas ça. Oui je reste persuadé que traduire en mots le bonheur ça ne peut se faire. Le bonheur d'être à nouveau là c'est la magie de l'être qui ne peut que se vivre sur le moment après il reste les souvenirs. Mais alors souvenirs que vous êtes doux à mon âme. Je me suis attardé avec ce gentil Monsieur dans la cour, nous parlions beaucoup, mais en moi quelque chose à ce moment là s'est échappé et je savais que c'était le petit garçon de 9 ans qui voulait jouer encore et encore. Le Monsieur me parlait, m'expliquait et moi je me suis dissocié. Oui mon corps s'est dissocié en deux il y avait à ce moment là: l'homme de 60 ans que je suis devenu et le petit garçon. Je les voyais tous les deux. Moi je sais que cela je l'ai vécu. Oui j'ai vu en moi se dissocier l'adulte et l'enfant d'Algérie qui voulait tourner encore à nouveau autour de son arbre, alors oui tout en parlant je me regardais tourner autour de l'arbre, courir dans le jardin, monter l'escalier, je voyais un enfant ivre de joie et je me reconnaissais parfaitement.

Le jardin de la villa médicale.

Comment cela est-il possible, je ne sais pas. Mais cela est arrivé. Il fallait pourtant partir, je dirais plus s'arracher de ce lieu de mon enfance, mais comment faire pour rappeler mon moi-même, pour rappeler le petit garçon que je voyais jouer dans la cour et qui ne voulait plus partir lui, comment entretenir une conversation d'adulte alors que je suis là à jouer dans le jardin et que seulement moi je me vois. On peut me prendre pour un fou, je suis persuadé que ce jour là une partie de moi à bien faillit jamais réintégrer mon corps. Alors j'ai regardé le petit garçon qui jouait et je lui ai comme le faisait ma maman oui je lui ai poussé un cri: sauf que celui-ci vint de mon âme. Mais ce cri était plein de tristesse, que faire, il fallait bien partir, alors s'il te plaît revient en moins, je te le jure nous reviendrons. Alors voilà le petit garçon a cessé de courir, je l'ai vu revenir vers l'adulte que je suis, il est entré en moi... Je sais depuis toujours qu'il est là mais ce jour là: il a faillit me dire: "toi parts si tu veux mais moi je reste car c'est ici que je suis heureux". Mais petit garçon sais-tu que moi aussi l'adulte je ne veux pas partir.

Voilà c'est aussi simple que cela, qu'on me croie ou non je m'en fous car je n'ai rien à prouver. Aller va!! Je dis au revoir au Monsieur et je pousse la porte de métal en m'assurant de prendre tout mon temps. Je tenais cette petite poignée que ma maman a si souvent tournée, je faisais durer les jours heureux. Je levais les yeux sur le stade et je tenais toujours fermement la poignée de la porte, je la sentais froide dans mes mains, c'est vrai nous sommes en hiver ce jour, pas grave avec le recul, je sais maintenant que cette poignée voulait tout simplement me faire sentir encore plus fort qu'elle était une partie de ma vie.

Le stade.

Il fallut pourtant la lâcher. Ah! villa des agents EGA comme je t'aime. Mais je suis sûr que ce que j'aime par dessus tout c'est la vie de mes 9 ans qui m' à été arraché, car oui c'est ici en Algérie que je voulais vivre ma vie. Le destin cruel et la méchanceté des hommes a fait basculer ma vie. Mais n'a jamais, jamais fait disparaître mon pays de mon cœur. Chaque jour qui passe depuis cette tragique année 1962 je n'ai fait que vivre avec au coeur l'Algérie. Oh je n'attends pas de médaille et je sais que le monde a continué de tourner, que la planète se fout de ma vie, mais moi je sais que j'ai eu raison car même après tant d'années avoir pensé chaque jour à l'Algérie n'a été et reste que du bonheur. Alors oui toi la villa des agents de l'EGA tu es en moi, tu vis en moi comme tout ce qui est mon pays. L'Algérie.

Nous sommes en 2012, je continue mon chemin celui d'un enfant d'Algérie, celui qui fait que je peux certifier être les jours heureux car oui ce temps là c'était les jours heureux.
Merci à tous ceux qui m'ont permit en 2010 de revoir la villa des agents EGA.

Je vous aime.
À toi ma maman
Gérard

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